Père Roger Guindon : l’homme aux mille vertus
Le 17 novembre dernier, une nouvelle a profondément attristé toute la communauté universitaire : le père Roger Guindon, ce religieux aux grandes convictions, s’était éteint à l’âge de 92 ans. Celui que l’on considère désormais comme le père fondateur de l’Université d’Ottawa d’aujourd’hui possédait une nature affable et modeste ainsi qu’une intelligence remarquable. Un homme qui a su laisser sa marque en jetant les fondations d’un établissement de calibre mondial.
Qu’ils l’aient côtoyé de près ou de loin, les amis, les proches, les confrères et les collègues du père Guindon sont unanimes : ils resteront à tout jamais marqués par cet homme au franc-parler, dont le style était à la fois direct et coloré. De plus, son légendaire sens de l’humour ne laissait personne indifférent. Ses blagues pouvaient à la fois faire rire aux éclats et porter à réfléchir. Quoique, bien souvent, elles avaient pour simple but de faire rougir son entourage!
« C’était une personne fort agréable », se souvient Marcel Hamelin, ancien collègue du père Guindon comme doyen de la Faculté des arts et plus tard recteur de l’Université. « Il attirait l’attention par son vocabulaire imagé et, lorsqu’il voulait passer un message sérieux, plutôt que de prêcher, il aimait raconter une histoire. »
Doté d’un physique imposant, le père Guindon avait une prestance naturelle. Partout où il se trouvait, il était dans son élément. « Il était tout aussi à l’aise en compagnie de premiers ministres qu’auprès des personnes les plus modestes », relate Pierre Garneau, un ami de longue date du père oblat. « C’était un homme d’une grande humilité qui savait mettre les gens à leur aise. »
Même si le père Guindon comptait de nombreux amis dans les plus hautes sphères du pouvoir, il demeurait malgré tout d’une grande simplicité. « C’en était désarmant, raconte Marcel Hamelin. Il n’avait aucun attachement à l’argent ou aux biens matériels. Aussi, il se plaisait à dire que lorsqu’un repas lui coûtait plus de 12 dollars, il faisait une indigestion! »
Les liens avec sa famille étaient tissés très serré. Deux de ses oncles, Arcade Guindon et Auguste Morisset, ont d’ailleurs eu une grande influence sur lui. À une certaine époque, ils travaillaient tous les trois à l’Université, jusqu’à ce que ses oncles prennent leur retraite dans les années 70. « Les deux oncles étaient des hommes chaleureux et peu formels. Ils étaient aussi très proches des étudiants », explique Martin Laplante, neveu de Roger Guindon.
Ses confrères religieux et l’Université faisaient partie de sa famille élargie. « Il se considérait le père de la communauté universitaire », fait valoir le père Pierre Hurtubise, ex-recteur de l’Université Saint-Paul, également un confrère oblat du père Guindon.
Des origines modestes
Né en 1920 à Ville-Marie au Témiscamingue, dans une paroisse dirigée par les pères Oblats, Roger Guindon était l’aîné d’une famille de cinq enfants. Son père était comptable et sa mère, institutrice. Son grand-père paternel était agriculteur à Clarence Creek, dans l’est de l’Ontario. Malgré des origines modestes, presque tous ses frères et sœurs ont poursuivi leurs études à l’Université d’Ottawa.
Roger Guindon est lui-même arrivé à l’Université pour la première fois en 1933, à l’âge de 13 ans. Il est demeuré lié pendant 70 ans à l’établissement, où il a été actif même après avoir quitté ses fonctions de recteur en 1984.
De toute l’histoire de l’Université d’Ottawa, le père Guindon détient le record du plus long mandat consécutif à titre de recteur. « Il a été le recteur le plus marquant du 20e siècle à l’Université d’Ottawa », affirme Michel Prévost, archiviste en chef de l’Université et ami de longue date du père Guindon. « Sous son règne, le campus a connu sa plus grande évolution, avec l’érection d’une quinzaine de bâtiments. Dans les années 70, les terrains de l’Université étaient en perpétuel chantier. »
Roger Guindon a véritablement consacré sa vie à l’Université. « Lors d’un discours prononcé quelques années après sa retraite, il a dit : “Je suis sorti de l’Université d’Ottawa en 1984, mais l’Université n’est jamais sortie de moi” », relate le père Pierre Hurtubise.
Un sens inné de la négociation
Avant d’être nommé recteur en 1964, le père Guindon a enseigné la théologie morale pendant une quinzaine d’années. Sans le savoir, il se préparait aux nouvelles fonctions qu’il occuperait plus tard au sein de l’Université d’Ottawa. Il répétait souvent que le fait d’avoir été un moraliste l’avait beaucoup aidé dans son travail de recteur. « Cela lui donnait à la fois un cadre de travail et une certaine souplesse dans ses négociations avec les gens. À la base, il respectait les opinions de chacun, même lorsqu’il était en désaccord », souligne le père Hurtubise.
C’était un négociateur habile, surtout dans ses tractations auprès du gouvernement ontarien. C’est ce qui lui a permis d’opérer une transformation profonde de l’Université, autrefois privée et dirigée par les Oblats, pour en faire un établissement d’enseignement public.
« Il savait se servir de son collet romain pour faire avancer sa cause », affirme Me Mark E. Turcot, qui a été président de la Fédération étudiante de l’Université d’Ottawa de 1973 à 1974. « C’était un homme extrêmement persuasif. On ne pouvait pas bien dormir si on lui disait non. Autant céder! »
Un recteur accessible
Tel un père de famille, Roger Guindon était toujours disponible. Pour les étudiants qui voulaient discuter avec lui, sa porte était grande ouverte.
En dépit de cette grande accessibilité, il se montrait parfois très dur dans ses négociations avec les étudiants. « Je me suis fait les dents avec lui, se souvient Mark Turcot. Avec le père Guindon, il fallait toujours arriver bien préparé. Nos discussions étaient parfois orageuses, mais malgré tout, il ne gardait jamais de rancune. »
« Mes relations avec le père Guindon étaient tendues au début », se rappelle le député fédéral Mauril Bélanger, qui a été président de la Fédération étudiante de 1977 à 1979. « Mais j’ai rapidement constaté que c’était un homme accessible, juste et très bon. Avec lui, le rôle de la Fédération étudiante s’est accru sur le campus, car il encourageait l’initiative étudiante. »
Le recteur favorisait également le dialogue avec les étudiants. Si bien qu’en 1976, il avait accepté de participer à un débat organisé par la Fédération étudiante au sujet d’une hausse proposée de cent dollars sur les droits de scolarité. « L’opposition était mobilisée, et il a été durement confronté », raconte Lucinda Annette Landau, vice-présidente de la Fédération de 1977 à 1978. « Il a finalement réussi à faire comprendre à l’ensemble des étudiants que la hausse était essentielle, puisque les frais n’avaient pas subi d’augmentation depuis cinq ans. »
Un inconditionnel du bilinguisme
Le père de Roger Guindon, Aldéric Guindon, était originaire de Vankleek Hill dans l’Est ontarien et sa mère, Germaine Morisset, était une Franco-Américaine de Fall River, au Massachusetts. Le fait que ses parents soient issus de milieux minoritaires francophones peut en partie expliquer le dévouement du père Guindon à la cause du bilinguisme.
« L’expansion des programmes en français à l’Université a été une préoccupation constante pour lui, fait valoir Marcel Hamelin. C’est grâce à son acharnement que la common law est enseignée en français à l’Université et qu’il existe un programme francophone à la Faculté de médecine. »
Le père Guindon se plaisait à dire que l’Université d’Ottawa n’était pas une université comme les autres. C’était, selon lui, un point de rencontre entre deux traditions intellectuelles, soit celle des francophones et celle des Anglo-Saxons. « Pour lui, il s’agissait d’une école de tolérance où l’on apprenait à apprécier la différence », raconte M. Hamelin.
D’aucuns s’entendent pour dire que si le père Guindon n’avait pas été à la tête de l’Université d’Ottawa à l’époque, jamais les transformations majeures qu’elle a subies n’auraient pu s’opérer. « Qui d’autre aurait su négocier avec le ministre de l’Éducation de l’époque? » demande le sénateur Hugh Segal, qui a présidé la Fédération étudiante de 1970 à 1971. « Bill Davis était issu d’un milieu anglo-protestant et il connaissait peu la culture francophone. Le père Guindon était le seul à pouvoir le rallier à la cause du bilinguisme, ce qui a permis de faire de l’Université d’Ottawa un établissement unique en son genre », conclut M. Segal.