Échos du campusÉCHOS DU CAMPUS

Des conférenciers d’horizons divers dépeignent une contrée complexe

Tim Lougheed

Même si une infime proportion de la population canadienne a l’occasion de visiter les confins nordiques du Canada, notre identité nationale est tissée d’impressions de ces vastes espaces. Or, beaucoup de ces impressions seraient dépassés ou simplistes, croient certains observateurs attentifs, selon qui le Nord tel que nous pensons le connaître est en voie de rapide disparition.

Ce thème, La disparition du Grand Nord, était le point de mire de la série de conférences sur les frontières de la recherche, qui s’est tenue en octobre à l’Université d’Ottawa. Cet événement annuel offre à des personnalités de renom une tribune pour présenter leurs vues à la communauté universitaire et au public sur un sujet particulier, ce qui donne lieu à des échanges d’idées très productifs.

Chacun des quatre conférenciers de marque, cette année, a partagé avec passion sa connaissance des changements que subit cette immense région du Canada.

« Nous, les Canadiens, ne connaissons pas l’Arctique aussi bien que nous le devrions », déplore Franklyn Griffiths, politicologue à l’Université de Toronto. Lui-même a fait une bouleversante prise de conscience l’année dernière, au cours d'un périple de 26 130 kilomètres en cinq semaines qui l’a mené d’un bout à l’autre du Nord pour les fins d’un article destiné au magazine The Walrus.

« Il nous faut faire une évaluation réaliste », soutient-il, faisant valoir que les réalités du Nord incluent sa situation de région périphérique, paisible, dépendante, divisée, et quelque peu désorganisée. En fait, ce que la plupart d’entre nous voient comme un élément monolithique du paysage national est en réalité une mosaïque de cultures et de structures administratives, toutes menacées par des groupes extérieurs attirés par les ressources du Nord. Ces ressources, d’ailleurs, deviennent de plus en plus accessibles à mesure que les changements climatiques réduisent la présence de glace dans les voies navigables.

Louis Fortier, un chercheur de l’Université Laval qui a mené plusieurs expéditions dans beaucoup de ces voies, décrit le tableau à venir comme la création d’une « nouvelle Méditerranée » : une mer bordée de nations qui pourraient avoir des priorités divergentes. Il importe, selon lui, que la communauté scientifique fasse bien connaître ces conséquences physiques, afin que les leaders politiques puissent prendre les mesures appropriées.

« Il doit absolument y avoir un échange; il faut que les décideurs soient impliqués dans la recherche et que les scientifiques prennent part aux décisions stratégiques », explique-t-il.

D’autres types de changements sont aussi à l’étude, dont la transformation des habitudes alimentaires à divers endroits. Les habiletés de chasse et de pêche ne se transmettent plus systématiquement de génération en génération. Les animaux qu’on consommait traditionnellement dans le Nord ne sont plus considérés sains, parce que leur chair peut contenir des contaminants chimiques potentiellement nocifs qui, transportés dans l’atmosphère, arrivent de tous les coins du globe. Par ailleurs, le régime alimentaire des populations est envahi par la malbouffe, au détriment des aliments transformés plus nutritifs, extrêmement coûteux à importer du sud.
 
Laurie Chan, spécialiste en hygiène de l’environnement à la University of Northern British Columbia, a étudié ces tendances en profondeur et constaté le grand défi que posent ces choix alimentaires. « Il est très difficile de dire aux gens en quoi consiste un régime alimentaire sain. N’importe quel parent vous le dira. »

Les défenseurs de ces populations autochtones dépeignent ces problèmes en termes sombres.

« Nous savons que l’Arctique et l’un des derniers endroits paisibles et intacts de la planète », explique Sheila Watt-Cloutier, récente récipiendaire d'un doctorat honorifique de l'Université. « Or, un passage du Nord-Ouest sans glaces, c’est un désastre environnemental. »

Ses efforts constants pour attirer l’attention sur cette question lui ont valu maints honneurs, le plus récent étant sa nomination pour le prix Nobel de la paix. À ses yeux, les changements climatiques menaceront un jour les droits humains, situation qui peut malgré tout faire ressortir le meilleur des gens.

« Je sais que la situation est difficile, mais nous vivons dans l'Arctique depuis très longtemps et nous avons beaucoup à offrir, dit-elle. Nous serons toujours présents dans l’Arctique. Nous vivons ici et nous protégeons depuis toujours ce qui nous entoure. »