Michel Prévost, archiviste en chef de l'Université d'Ottawa
Il y a un siècle, le 2 décembre 1903, un incendie spectaculaire bouleverse la vie paisible de l'Université d'Ottawa installée dans la Côte-de-Sable depuis 1856. Les flammes réduisent le bâtiment principal en cendres et trois personnes y perdent la vie.
Témoin oculaire de l'incendie, le père Auriemma Veronneau résidait alors dans le bâtiment. Son récit a été publié dans le Bulletin des Anciens en décembre 1953. Le voici :
Le matin du 2 décembre 1903 s'annonçait comme une journée tout à fait normale à l'édifice central de l'Université. À 7 h 30, les étudiants étaient encore au réfectoire quand soudain retentit un cri angoissé : « La salle académique est en feu! » En deux bonds, le père Boyer se précipitait à la boîte d'alarme et sonnait le tocsin. Bien que la caserne des sapeurs ne fût qu'à deux minutes de marche, il fallut plus d'un quart d'heure aux pompiers pour arriver sur les lieux à cause de quelques malencontreuses circonstances. Il faut dire que les éléments avaient beau jeu dans ces vieux bâtiments tout en bois à l'intérieur, et ces longs corridors qui faisaient fonction de cheminée aspirante... La mort planait partout et choisissait ses victimes. La première fut une vieille servante qui aidait la chambrière affectée à l'aile du séminaire. Puis ce fut le tour du père Charles McGurty, vicaire de Saint-Joseph. Lorsqu'il voulut sortir de sa chambre, vers 7 h 45, il se rendit compte immédiatement qu'il n'y rentrerait plus. La troisième victime fut le père Charles Fulham, préfet de discipline chez les grands. Il était maintenant dix heures. L'élément destructeur avait achevé son oeuvre de malheur. De la bâtisse imposante de la rue Wilbrod (aujourd'hui Séraphin-Marion), il ne restait plus que des pans de murs calcinés, des poutres de fer tordues et un amas de ruines fumantes. Dans toutes les bouches, la même question se posait pleine d'anxiété : « Que va-t-il advenir de notre Université? » Sans un moment d'hésitation, le père recteur donna la fière réponse : « L'Université vient d'être très sévèrement blessée, elle n'est pas morte, elle vivra! » |
Tableau désolant des ruines à travers lesquelles on peut voir le clocher de l'Église St-Joseph.
L'Université renaît de ses cendres
Le recteur Joseph-Édouard Émery avait bien raison. Les Oblats réagissent rapidement pour sauver l'année scolaire en construisant un édifice temporaire, surnommé «le poulailler», afin de loger les étudiants. L'édifice des sciences, aujourd'hui la Salle académique, sur Séraphin-Marion, devient le nouveau pavillon central. Les cours classiques y sont donnés, la salle du Musée loge les religieux, alors que la chapelle et la salle de récréation sont installées au sous-sol.
Loin de se laisser abattre, l'administration décide de reconstruire sur le même site. Le recteur Émery souhaite la construction d'un édifice plus imposant que le précédent et fait appel à l'architecte A. O. Von Herbulis, de New York. Ce dernier a déjà tracé les plans de plusieurs immeubles aux États-Unis, dont ceux de Georgetown, à Washington D.C., et de l'Université Notre-Dame dans l'Indiana.
Contrairement à ce que l'on a souvent écrit, il n'est toutefois pas l'architecte du Capitole de la capitale américaine. Von Herbulis soumet les plans non seulement d'un édifice central mais d'un campus grandiose avec une bibliothèque prestigieuse. On peut maintenant admirer ces plans au deuxième étage de la rotonde du pavillon Tabaret.
La pose de la pierre angulaire de l'édifice, aujourd'hui le pavillon Tabaret, se déroule en mai 1904. Le cardinal Gibbons, archevêque de Baltimore,préside la cérémonie. Le délégué apostolique, la majorité des archevêques et évêques catholiques du pays, le gouverneur général, le comte de Minto, et le premier ministre du pays, sir Wilfrid Laurier, assistent à l'événement. Leur présence témoigne de la place éminente qu'occupe déjà l'institution sein de la société canadienne.
Un nouveau bâtiment, le pavillon Tabaret
Von Herbulis dessine les plans en s'inspirant du Capitole de Washington. Le style architectural classique grec, les colonnes monolithes et les ornements confèrent au pavillon un cachet bien particulier.
Entièrement à l'épreuve du feu, ce sera un des premiers bâtiments au Canada construits en béton armé. Inauguré en 1905, l'oeuvre ne ressemble cependant pas encore au plan de l'architecte puisque, pour des raisons financières, seule la partie centrale est terminée. De plus, à la place du majestueux dôme on ne trouve qu'une petite coupole provisoire.
Enfin, des ailes qui donnent au bâtiment sa symétrie actuelle sont construites en 1914, 1922 et 1931. Depuis 1971, le pavillon porte le nom du bâtisseur de l'Université, le père Joseph-Henri Tabaret, o.m.i.
Aujourd'hui, le magnifique pavillon Tabaret, en partie construit sur les cendres du bâtiment incendié il y a 100 ans, symbolise l'Université d'Ottawa, l'Université canadienne.