À la fin du mois de mars, un juge de la Cour fédérale a annulé la tentative par l’industrie canadienne du disque de faire identifier les personnes qui téléchargent des fichiers audio à partir d’Internet. Bien que la décision ait été interprétée comme une victoire pour les partisans du partage de musique en ligne, elle a des répercussions encore plus grandes pour tous les usagers d’Internet, selon la professeure de droit Philippa (Pippa) Lawson.
« Il s’agit d’une réaffirmation claire du droit à la vie privée », déclare-t-elle. On demandait, en fait, aux fournisseurs d’accès Internet (FAI) d’empiéter sur ces droits en fournissant le nom et les coordonnées de leurs clients qui auraient pris part à ce type de partage de fichiers musicaux.
|
Toutefois, comme l’ont souligné certains FAI ainsi que la Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada (CIPPIC) de la Faculté de droit, il est possible d’identifier incorrectement ces personnes. Vu les difficultés inhérentes au jumelage des adresses IP dynamiques aux abonnés, la cour a abondé dans le sens de la CIPPIC et a jugé que, dans l’intérêt de la préservation du droit à la vie privée, il est nécessaire d’obtenir des preuves irréfutables avant d’arracher de l’anonymat des personnes accusées de méfait.
« Rapidement, il est devenu clair que les fournisseurs d’accès Internet s’intéressaient peu à la question », dit Mme Lawson, en soulignant les raisons qui ont motivé la participation d’une équipe de l’Université d’Ottawa. Avec l’appui de Howard Knopf, avocat spécialisé sur le droit d’auteur, son équipe étudiante a eu le droit d’intervenir dans le dossier. En montrant que les maisons de disques n’avaient pas clairement prouvé que les internautes qui partageaient des fichiers commettaient une infraction, l’intervention de l’équipe universitaire a grandement contribué à la décision de la Cour de rejeter la requête.
Les membres de la CIPPIC – laquelle avait moins d’un an d’existence lorsque ce dossier a attiré son attention – avaient tout lieu d’être fiers de ces résultats. Pippa Lawson est la directrice générale de cette unité établie au début de 2003, grâce à l’appui financier du Ontario Research Network for Electronic Commerce (ORNEC) et au résultat d’un règlement judiciaire impliquant le géant du commerce en ligne, Amazon.com.
Dissimulée au cinquième étage du pavillon Fauteux, la CIPPIC est la création de Michael Geist, Ian Kerr et d’autres professeurs de la Faculté dont les travaux sont consacrés aux répercussions juridiques des nouvelles technologies de l’information et des communications. Pour Mme Lawson, qui en tant qu’avocate a représenté les intérêts des consommateurs au Centre pour la défense de l’intérêt public à Ottawa, c’est toujours la même histoire.
« Nous sommes toujours en train de rattraper le temps perdu ou de réagir aux nouvelles pratiques commerciales fondées sur les technologies de pointe », dit-elle. « C’est tout naturel pour les entreprises de saisir de nouvelles occasions d’affaires et en profiter. Du point de vue du public toutefois, je trouve qu’on dépasse constamment les limites en ce qui concerne le transfert des responsabilités au consommateur. »
Ne pouvant compter que sur un personnel très limité (Mme Lawson et une adjointe administrative) ainsi qu’une poignée de stagiaires et de bénévoles, étudiants en droit, la CIPPIC doit choisir les contestations judiciaires dans lesquelles elle veut intervenir. Cette liste comprend divers sujets, dont le droit d’auteur, la publicité électronique et les conflits entourant les noms de domaine. Indépendamment de la participation aux poursuites en justice d’importance majeure, dit Mme Lawson, il s’agit d’aider les gens à comprendre des questions que la loi elle-même a peine à délimiter.
« C’est toujours le même problème au fond : les groupes de pression des parties prenantes des grandes sociétés, les intérêts commerciaux, se font très bien entendre, tandis qu’il est difficile de bien connaître les autres points de vue », dit-elle, en recommandant la consultation du site Web de la CIPPIC, www.cippic.ca, pour obtenir l’information que le public réclame et dont il a besoin.
« Intervenir en faveur de l’intérêt public dans les litiges, surtout au niveau des cours de justice supérieures qui prennent des décisions importantes et qui font précédent : voilà, je crois, ce que nous faisons de mieux. Nous voulons continuer notre participation active, que ce soit en matière d’élaboration des politiques, d’actions revendicatrices ou encore sur le plan législatif ou judiciaire ».
Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada (www.cippic.ca)
Texte intégral du jugement de la Cour fédérale (en anglais seulement) (decisions.fct-cf.gc.ca/fct/2004/2004fc488.shtml)