Françoise Trudeau-Reeves
Ils ne sont que 120 à l’Université. Rien ne les distingue des autres, et pourtant, ils ne sont ni des étudiants, ni des professeurs, ni des membres du personnel. Ce sont les chercheurs postdoctoraux. Fraîchement émoulus des programmes de doctorat, ils viennent à l’Université d’Ottawa pour effectuer des stages de recherche d’une durée moyenne de deux ans sous la supervision de chercheurs expérimentés.
Gary Slater, vice-doyen de la Faculté des études supérieures et postdoctorales, explique que l’Université d’Ottawa fait figure de pionnière dans la reconnaissance des chercheurs postdoctoraux. En l’an 2000, elle a été l’une des premières universités au Canada à attribuer aux « postdocs », comme on les appelle familièrement, un statut officiel assorti d’un salaire minimum garanti, d’une adresse de courriel et d’un compte à la bibliothèque. Les autres universités et les agences subventionnaires ont rapidement emboîté le pas. « Les chercheurs postdoctoraux ont été négligés par le passé, déclare M. Slater, mais ils sont maintenant des membres à part entière de la communauté universitaire. »
Irene Gregory-Eaves a obtenu une bourse postdoctorale du Conseil de recherches en sciences naturelles et génie. Depuis septembre 2002, elle travaille avec Jules Blais, professeur associé au Département de biologie et spécialiste du comportement des produits toxiques dans l’environnement. Au cours de son stage, Mme Gregory-Eaves a démontré que, lors de leur migration en eau douce, les saumons sauvages ramènent avec eux des contaminants absorbés dans l’océan. Les travaux de son équipe de recherche ont eu des échos dans les prestigieuses revues Nature et Science et lui ont valu l’attention des médias nationaux.
Engagée comme professeure à l’Université McGill, la jeune femme a décidé de différer d’un an son entrée en fonction pour terminer son stage postdoctoral. Elle estime que c’est sa dernière occasion de faire de la recherche pure. « La prochaine fois, dit-elle, ce sera lors d’une année de congé sabbatique. »
M. Blais souligne que Mme Gregory-Eaves a apporté de nouvelles voies de recherche « d’une grande originalité » à ses travaux. Les deux chercheurs entendent prolonger leur fructueuse collaboration.
Si la tradition des stages postdoctoraux est bien établie en sciences pures et appliquées – d’où proviennent 75 p. 100 des chercheurs postdoctoraux à l’Université – on ne peut en dire autant des sciences humaines.
À la Faculté des sciences sociales, le Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités fait exception. « Le CIRCEM a été conçu pour accueillir des chercheurs postdoctoraux », explique Joseph-Yvon Thériault, son directeur. Le CIRCEM a accueilli six « postdocs » au cours des trois dernières années. Pour M. Thériault, le stage postdoctoral est pratiquement devenu une étape indispensable dans le cheminement du jeune chercheur, qui travaille en autonomie sur ses propres projets, et non sur ceux du superviseur.
M. Thériault souligne également l’apport non négligeable du jeune chercheur à la vie intellectuelle d’une unité de recherche. « Le chercheur postdoctoral en est peut-être à l’étape la plus créatrice de sa carrière », affirme-t-il. Mais, sans le coup de pouce des bourses de recherche postdoctorales, une partie de ce potentiel se perdrait dans la nature.
Actuellement stagiaire au CIRCEM où il étudie les institutions démocratiques, le sociologue Charles Bellerose estime que la bourse de recherche postdoctorale lui a fourni la motivation nécessaire pour terminer son doctorat à un moment où il songeait à abandonner ses études. « Cette reconnaissance institutionnelle a joué un rôle déterminant pour moi », dit-il.