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Pas de retraite intellectuelle pour le professeur Grygier

Marie-Claire Dubé

Chez lui, le professeur émérite Tadeusz Grygier travaille dans un bureau spacieux où s’accumulent les plaques commémoratives. C’est sa « salle des trophées » et c’est aussi une métaphore appropriée pour un homme qui, face aux obstacles et à l’oppression, a su y trouver des défis et en triompher.  

Le professeur Grygier est né à Varsovie en 1915. Sa mère était psychiatre et son père, chirurgien. Le jeune Tadeusz s’est vite initié à la science auprès d’eux.

Scientifique, psychologue, philosophe, yachtman et… raconteur, le professeur Grygier est aussi le fondateur du Département de criminologie de l’Université d’Ottawa. En 1967, alors qu’il enseignait à l’université de Toronto, le gouvernement ontarien lui a accordé une subvention et lui a confié la création d’un institut de criminologie à l’Université d’Ottawa.

Très vite, il lui a fallu réunir des professeurs et des spécialistes et recruter des étudiants. Du commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, il a obtenu les noms de deux policiers retraités sur qui il pourrait compter. L’un est devenu son adjoint exécutif, chargé de l’administration du programme. L’autre participait à des simulations auprès des étudiants. Aujourd’hui chose courante, cette stratégie d’apprentissage innovait à l’époque.  

« J’aimais prendre la relève lorsqu’un professeur s’absentait, avoue M. Grygier. J’en profitais pour mesurer le succès du programme. Ma formation multidisciplinaire et mon penchant pour les statistiques m’ont beaucoup aidé pendant cette période. »

Le recteur Roger Guindon l’avait aussi invité à siéger à un comité ayant le mandat de créer une nouvelle faculté : c’est ainsi qu’est née la Faculté des sciences de la gestion.  

Avocat à 21 ans, M. Grygier aime le droit, mais sa curiosité naturelle – et son destin – le mènent ailleurs. Athlète accompli, il fait du ski, de l’équitation et de la voile. En 1938, il doit représenter la Pologne aux Jeux olympiques quand la guerre change tout.

En 1940, il est envoyé à la république arctique de Komi dans un camp de concentration. À l’officier procédant à son arrestation, il demande quel en était le fondement juridique. « Vous êtes appelé à travailler très fort, pour nous, et à mourir comme un chien, de faim et de froid. Voilà votre fondement juridique. »

Le professeur Grygier a survécu au goulag grâce à une stratégie transformatrice. « Quand j’étais prisonnier, précise-t-il, j’ai refusé d’assumer le rôle de victime. Je me suis plutôt redéfini : je serais chercheur, observant l’humanité et les effets pervers de l’oppression. » Plus tard, le psychologue praticien allait appliquer cette stratégie de redéfinition positive à ses patients, et le professeur, à ses étudiants.

C’est pendant son internement dans ce goulag qu’il planifie sa thèse de doctorat. Paru d’abord en 1954, l’ouvrage Oppression: A Study in Social and Criminal Psychology a été réédité quatre fois et figure sur la liste des « publications majeures » de Routledge.

Une cinquantaine d’années plus tard, le professeur Grygier écrit toujours. En 2002, il a publié Exile : The Road to Knowledge, un livre qui rappelle les premiers jalons de sa vie. Il prépare actuellement un ouvrage sur la personnalité définie par l’esprit, le cœur et le libre choix. Chose certaine, pour le professeur Grygier, la retraite n’a pas tari sa curiosité intellectuelle.