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Des langagiers en voie de disparition?

Daniel Morin

Dans un rapport rendu public en octobre 2007, l’Association de l’industrie de la langue/Language Industry Association (AILIA) lance un cri d’alarme devant la pénurie de langagiers au Canada, particulièrement le manque criant de professeurs de langues.

« La pénurie de main-d’œuvre chez les professeurs de langues secondes est si grave que les conseils scolaires ont peine à doter leurs écoles de personnel », affirme l’AILIA. « La pénurie dans les autres professions langagières nuit à la capacité concurrentielle du Canada à l’échelle internationale », ajoute-t-on.

Les spécialistes à l’Université d’Ottawa n’ont pas une vision aussi alarmiste, mais reconnaissent toutefois que les données du rapport, intitulé « Profils professionnels dans l’industrie de la langue canadienne », semblent essentiellement conformes à la réalité.

La directrice de l’École de traduction et d’interprétation (ETI), Luise Von Flotow, admet qu’il y a bien sûr une pénurie de traducteurs et d’interprètes au Canada, ce qui donne aux étudiantes et étudiants de l’École de multiples possibilités de stages et d’emplois. Mais elle est sceptique quant aux conséquences de cette pénurie sur l’avantage concurrentiel du Canada.

« Il est logique de penser que, si un traducteur sur trois travaille à la pige et que la plupart des autres sont à l’emploi des gouvernements, ils ont peu de chances d’être concurrentiels sur le marché international », affirme Mme Von Flotow. « D’ailleurs, je doute que les traducteurs canadiens aient jamais soutenu la concurrence à grande échelle sur les marchés internationaux. Leur travail est surtout interne – presque entièrement de la traduction de l’anglais au français. »

Ce qui inquiète la directrice de l’ETI, c’est que les anglophones et les hommes semblent réticents à faire carrière en traduction, de sorte que cette profession a de plus en plus tendance à être le domaine de femmes francophones. Elle craint que cela puisse créer un nouveau « ghetto de cols roses » où ces professionnelles ne seraient pas rémunérées à leur juste valeur.
 
Pour sa part, Richard Clément, directeur de l’Institut des langues secondes et du bilinguisme (ILOB), croit que la pénurie de professeurs de langues est symptomatique d’un problème plus vaste, qui a trait au manque de valorisation de la langue comme porteuse d’un savoir culturel et de l’expression d’une identité propre.

Le directeur de l’ILOB déplore notamment l’attitude répandue voulant que « n’importe qui puisse être professeur de langue seconde » et qu’il suffise de savoir parler une langue pour l’enseigner. Plusieurs écoles de langue, par exemple, embauchent des gens peu qualifiés pour aller enseigner l’anglais à l’étranger, rappelle-t-il.

Par ailleurs, plusieurs professeurs travaillent dans des conditions moins qu’idéales, souligne pour sa part Hilaire Lemoine, cadre en résidence à l’ILOB. « Dans plusieurs cas, ils n’ont pas leur propre salle de classe, dit-il, et doivent enseigner à des groupes de 35 élèves en utilisant un matériel didactique souvent peu stimulant. Enfin, l’apprentissage de la langue n’est pas vu comme une matière scolaire de valeur, mais plutôt comme une obligation. »

Dans un tel contexte, il est difficile pour un professeur de langue d’être perçu comme un modèle d’enseignant, ce qui n’incite pas les élèves à faire carrière dans ce domaine, ajoute M. Lemoine.
 
Outre la sensibilisation qu’il estime inhérente au mandat de l’ILOB, M. Clément perçoit un élément de solution dans la création de « programmes accrocheurs » qui pourraient susciter l’intérêt des étudiants en mettant en valeur la langue comme portail vers une véritable compréhension culturelle. Par exemple, les programmes en relations internationales pourraient être jumelés à une composante linguistique.

De la même manière, le régime d’immersion que l’Université a mis en place est « un outil extraordinaire, parce qu’il permet de faire un apprentissage [de la langue] en contexte », dit-il.

Liens connexes :

Didactique des langues secondes

Institut du bilinguisme et des langues officielles 

École de traduction et d’interprétation

Association de l’industrie de la langue/Language Industry Association

Communiqué : « Pénurie grave de professionnels de la langue au Canada »

Rapport : « Profils professionnels dans l’industrie de la langue canadienne »