Sean Rushton
Au milieu des années 60, Roger Brown, un chercheur canadien dont les travaux sont passés à l’histoire, a sillonné le Nord du Canada depuis le Yukon jusqu’au Labrador à pied, en voiture, en canot, en train, en avion et en hélicoptère, recueillant les données les plus détaillées et les plus complètes qui soient sur le pergélisol canadien. Or le Nord a énormément changé depuis : la glace marine est en train de disparaître, les glaciers rétrécissent, des arbustes poussent dans la toundra... et le pergélisol fond.
« Nous savons que l’Arctique est très sensible aux changements climatiques, dit Antoni Lewkowicz, spécialiste du pergélisol au Département de géographie de l’Université d’Ottawa. Si, comme le prédisent certains modèles, la température globale de la Terre augmente de 1,5°C au cours des 50 prochaines années, celle de l’Arctique montera de plus du double. C’est le principe des canaris dans une mine de charbon. »
Au cours des deux prochaines années, le professeur Lewkowicz compte retourner à certains des endroits de l’Arctique où Brown a pris ses mesures pour la première fois, afin de documenter la transformation du pergélisol depuis 40 ans. Le chercheur est certain qu’avec ses collaborateurs, Chris Burn de la Carleton University et Sharon Smith de la Commission géologique du Canada, il découvrira des endroits dépourvus de pergélisol là même où Brown avait trouvé un sous-sol gelé en permanence il y a une quarantaine d’années.
L’Université d’Ottawa fait depuis longtemps des recherches dans le Nord canadien. Chaque année, environ 20 étudiants et étudiantes diplômés en géographie, en biologie et en sciences de la terre s’y rendent avec leurs professeurs. Toutefois, M. Lewkowicz espère que, cette fois‑ci, au moins une petite part des 150 millions de dollars que le gouvernement réserve pour des projets canadiens dans le cadre de l’Année polaire internationale servira à financer son expédition prochaine dans le Nord.
L’Année polaire internationale (API) est un vaste effort mondial de recherche scientifique dans les régions polaires de la planète. À compter du 1er mars 2007, des chercheurs et chercheuses polaires de partout dans le monde commémoreront les 125e et 75e anniversaires de la première et de la seconde Année géophysique internationale. L'API s'étendra en fait sur une période de 24 mois de recherches collaboratives qui prendra fin le 1er mars 2009.
Deux professeurs du Département de géographie de l’Université d’Ottawa participent déjà à des projets financés par le CRSNG dans le cadre de l’API. Il s’agit de Konrad Gajewski, spécialiste des changements environnementaux passés dans l’Arctique, et de Luke Copland, glaciologue, bien connu pour son rapport récent sur le détachement du plateau de glace d’Ayles au nord de l’île d’Ellesmere. Or rien de tout cela n’aurait été possible sans les efforts de Peter Johnson, qui a quitté le Département le mois dernier pour prendre sa retraite. M. Johnson, président de la Commission canadienne des affaires polaires de 2002 à 2005, a travaillé sans relâche au Canada et sur la scène internationale pour créer l’Année polaire internationale.
L’Année polaire internationale 2007-2008 s’articule autour de la conviction que les régions polaires isolées de la Terre ont des répercussions profondes sur le climat planétaire, les écosystèmes et, ultimement, la société humaine. Elle devrait réunir cette année plus de 200 projets, des milliers de scientifiques et au‑delà de 60 pays. L’API sera l’occasion pour les chercheurs et les chercheuses de se pencher ensemble sur toute une gamme de sujets de recherche en physique, en biologie et en sciences sociales, et d’élargir les programmes existants dans ces domaines. On espère y faire participer le public canadien et attirer la prochaine génération de scientifiques polaires.
Grâce au financement qu’il a obtenu dans le cadre de l’API, le professeur Lewkowicz a déjà pu recruter trois étudiants diplômés de plus dans son équipe.
« L’argent reçu dans le cadre de l’Année polaire internationale a une valeur inestimable pour nos nouveaux diplômés, de préciser le professeur. Ils sentiront qu’ils font partie de quelque chose de plus grand; ils présenteront des travaux à des conférences internationales et feront des recherches de suivi qui s’étendront bien au‑delà des deux années que durera l’Année polaire internationale. »
Dans l’esprit de collaboration traditionnel qui anime l’Année polaire internationale et en tandem avec l’ouverture officielle de l’API à Paris, l’Université d’Ottawa et la Carleton University ont lancé conjointement leurs projets API à la Carleton University le 1er mars dernier.